Les lecteurs du roman L'otage de Duncan Falconer se souviendront de la présence d'un SEAL américain en échange dans leur unité lors d'une opération clandestine en France. On sait qu'il existe de nombreuses coopérations entre forces spéciales de différents pays, tels que des exercices communs et l'envoi d'observateurs lors de prises d'otages dans des pays amis (on se souviendra notamment de la présence de SAS aux côtés du GSG-9 allemand à Mogadiscio en 1977). Mais est-il raisonnable d'imaginer que des soldats partis en échange se battent pour un autre pays que le leur ?
Un membre du SAS (gauche) et un officier des forces spéciales italiennes à l'occasion d'une rencontre multinationale. (photo Rick A. Bloom, Special Warfare, DoD)
Autant qu'on sache, la réponse est non - sauf quand on parle des forces spéciales britanniques et américaines.
La « relation spéciale » américano-britannique
Au début des années 60, le SAS commença un système d'échange avec les Special Forces (SF, les fameux « bérets verts » américains) selon lequel un officier et un sous-officier du 22 SAS allaient au 7th Special Forces Group (SFG) pendant un an et vice-versa. Les premiers Américains à faire connaissance du SAS furent le capitaine Bud Sydnor et le sergent Dick Meadows en 1960, puis en juin 1962 le capitaine Charles Beckwith et un sergent du nom de Rozniak.
Le choc des cultures fut de l'ordre de la première rencontre des Portugais avec les Indiens caraïbes. Beckwith raconte longuement dans sa biographie Delta Force combien il fut impressionné par le SAS, à commencer par l'impitoyable Selection. Pour entrer dans les SF, Beckwith n'avait pas passé de sélection. Il n'avait même pas été volontaire. Il avait été trois ans chez les paras avant d'être assigné chez les SF parce qu'ils manquaient d'officiers. Beckwith fut également surpris par le planning d'exercices utilisant un simple bac à sable au lieu d'une carte standard, l'absence de discipline, ou les drill à balles réelles. Le colonel américain Jerry King, qui travailla avec un des sergents SAS envoyé aux USA, résuma la situation encore plus simplement : « Il m'apprit à marcher. »
Zones de combat
Mais là où ce programme se distingue vraiment de tous les autres, c'est que des soldats américains en échange au SAS accompagnèrent le Regiment en opérations !
Dick Meadows servit avec le SAS à Oman, luttant contre l'insurrection et les traficants d'armes. Beckwith alla en Malaisie avec le A Squadron en janvier 1963, alors que la « Confrontation » indonésio-malaisienne était sur le point d'éclater. Quand il demanda à l'attaché militaire US au Royaume-Uni s'il avait l'autorisation d'y aller, celui-ci préféra ne pas impliquer le Département d'Etat dans la décision et laissa le soin de prendre la décision à Beckwith. Beckwith alla donc en Malaisie.
Encore plus surprenant, un Master Sergeant des Special Forces accompagna le SAS au Yémen du Sud (« Aden ») au milieu des années 60 lors d'opérations contre la guérilla communiste, et ceci malgré l'interdiction explicite du Pentagone !
On ne s'étonne dès lors guère d'entendre des rumeurs suggérant que des SAS auraient pu participer à la guerre du Viêt-nam. Contrairement à l'Australie et à la Nouvelle-Zélande, l'armée britannique n'a pas envoyé de contingent se battre en Asie du Sud-Est aux côtés des Américains. Mais on peut imaginer que des SAS britanniques aient pu aller au Viêt-nam au cours d'un échange avec les SF ou les SAS australiens... une rumeur qui, à notre connaissance, n'a jamais été soutenue par des élements crédibles, pas plus que l'hypothèse que des soldats américains ou australiens aient pu être impliqués dans les opérations que menait à l'époque le 22 SAS à Bornéo, au Dhofar ou en Irlande du Nord.
Les enseignements américains
L'échange SAS-SF fut de toute évidence extrêmement profitable aux Américains. Plusieurs de ceux qui étaient passés par cet échange eurent des carrières remarquables. Bud Sydnor et Dick Meadows étaient parmi les principaux commandants du célèbre raid de Son Tay au Viêt-nam. (Dick Meadows avait rapporté autre chose du Régiment : il avait épousé la fille d'un sergent major du SAS.) Jerry King contribua à créer le programme d'entraînement du MACV-SOG qui envoyait des équipes en reconnaissances clandestines au Laos et au Cambodge, fut un des principaux plannificateur de l'opération Eagle Claw en Iran, et fondateur de la très discrète Intelligence Support Activity (ISA) dont la structure fut inspirée par le SAS.
Mais Beckwith sera de loin le plus célèbre d'entre eux car il n'aura de cesse de plaider pour que l'US Army créée une unité similaire au SAS. Il faudra cependant attendre une douzaine d'années avant qu'il parvienne à se faire entendre, quand il sera le créateur et premier commandant de la très célèbre et très secrète Delta Force.
Special Forces ou Delta Force ?
Les suites de la coopération sont néanmoins mal connues. Nous savons que le Major L. H. « Bucky » Burruss, un des principaux officier de Delta, effectua lui aussi une visite au Royaume-Uni peu avant la création de l'unité en novembre 1977, passant avec succès la Selection SAS. Avec tellement de succès que le commandant du SAS dit à Beckwith : « Si vous ne voulez plus de ce gars, renvoyez-le nous. » Des instructeurs du SAS furent par la suite envoyés aider à former l'unité.
Début 1979, Delta commença son propre programme d'échange avec les autres unités contre-terroristes d'élite occidentales, dont le SAS. Du premier sergent SAS échangé, les Américains apprirent beaucoup sur les engins explosifs improvisés - le sergent avait passé du temps à Belfast. Et lors de la qualification de Delta en novembre 1979, le général de la Billière faisait partie des experts invités.
Mais bien que Delta et le SAS soient extrêmement similaires, et aient souvent opéré ensemble sur le terrain lors de la guerre du Golfe, en Afghanistan et en Irak, nous avons très peu de détails sur la poursuite de l'échange entre ces deux unités, à l'exception de celui-ci : en 2001, deux opérateurs Delta furent les premiers à passer l'éreintant stage de montagne du 22 SAS. Une experience qui leur fut très utile quelques mois plus tard, lors de la bataille de Tora Bora.
Commandos Delta et quelques hommes du SBS à Tora Bora en décembre 2001. Certaines montagnes de Tora Bora s'élèvent à plus de 4000 m d'altitude. (photo DoD via CBS)
Nous avons un peu plus de détails sur les liens que le SAS maintient avec les SF. Ainsi, un officier SAS en échange accompagna la Company B, 1st Battalion, 5th SFG en Somalie en 1993 où il participa à la planification d'opérations destinées à arrêter le chef de clan Mohammed Farah Aïdid, avant que la mission soit confiée aux Marines puis à un détachement d'opérateurs Delta et de Rangers, la Task Force Ranger. Par ailleurs, deux sergents instructeurs des SF assistèrent à une Selection du SAS en 2002. Notons au passage que l'instruction des SF a par ailleurs bien changée depuis l'époque de Beckwith. Sous l'impulsion du colonel Richard Potter, un ancien commandant en second de Delta, les SF se sont dotées à partir de 1988 d'une phase d'évaluation et sélection qui sied à toute unité spéciale, telle que le SAS avait été le premier à mettre au point.
Les SBS et les SEAL
Beaucoup moins de détails sont connus sur la relation SBS-SEAL. Duncan Falconer rapporte cependant que les SEAL ont créé leur formation de tireurs d'élite et de contre-terrorisme maritime en bénéficiant de l'expertise du SBS. Il raconte également qu'un SEAL était en échange au SBS lors de la guerre des Malouines, mais resta en Angleterre pendant le conflit.
Falconer rapporte aussi qu'un SEAL se trouvait également chez les SBS pendant la guerre du Golfe et qu'il participa au raid destiné à saboter un câble de communication irakien à fibre optique, mais les documents américains à ce sujet disent que les SBS étaient accompagnés par une équipe de liaison américaine composée de trois SF et d'un Combat Controller, sans évoquer de SEAL.
Enfin, nous disposons d'inhabituellement beaucoup d'informations sur la présence d'un opérateur du SEAL Team 6, « Sam », en échange au SBS peu avant le 11 septembre, et qui accompagna les SBS en Afghanistan. « Sam » participa notamment à la bataille de Qala-e-Jangi lorsque des prisonniers se mutinèrent, et reçut une Navy Cross pour sa bravoure. Quelques temps plus tard, il croisait sur la base de Bagram des SEAL fraîchement arrivés. Ceux-ci furent étonnés de voir à quel point il ressemblait à « un vrai Pachtoun ».
Images désormais célèbres de la bataille de Qala-i-Jangi. Parmi ces SBS se trouvent un SEAL. (Photo, heu, inconnue)
Les SBS et le SEAL étaient toujours en Afghanistan deux mois plus tard, lorsque fut lancée l'opération Anaconda. Les principaux combats eurent lieu sur une montagne, le Takur Ghar, après qu'un SEAL, Neil Roberts, soit tombé d'un hélicoptère. Neil Roberts était censé aller au SBS initialement, à la place de « Sam ». Quelques jours après les combats du Takur Ghar, les SEAL de l'équipe de Roberts, accompagnés d'un SBS, venu en échange en même temps que « Sam » allait au SBS, furent chargés d'intercepter un convoi de tout-terrains s'échappant de la zone de l'opération Anaconda. L'embuscade ne dura que quelques minutes : les véhicules circulaient au fond d'une vallée encaissée et les combattants d'al-Qaida, en position désavantageuse, furent rapidement décimés par les tirs des hélicoptères et des SEAL qu'ils déposèrent sur les hauteurs. Les SEAL trouvèrent dans les véhicules plusieurs équipements abandonnés par des soldats lors des combats du Takur Ghar. Même s'ils n'avaient pas lancé cette action dans ce but, les SEAL ne pouvaient s'empêcher de la considérer comme une vengeance de la mort de Roberts.
"Razor 01", l'hélicoptère Chinook abattu sur le Takur Ghar en essayant de sauver Neil Roberts. (Photo DoD.)